France Culture 19 Février 2013



Revue de presse culturelle d'Antoine Guillot



Le Méliès, quel intérêt ?


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Le feuilleton n’en finit pas : nouveaux rebondissements dans l’affaire du Méliès, le cinéma art et essai municipal de Montreuil. Cela fait en effet un mois que les salariés sont en grève. Samedi, après une manifestation devant le cinéma, l’équipe du Méliès a tenu “une conférence de presse dans le but de répondre, point par point, aux accusations contenues dans l’enquête de la direction générale des services de la ville, et dans le rapport de la direction départementale des finances publiques. Une synthèse de ces deux documents, d’une quinzaine de pages, a été transmise à la presse par les services de la maire de Montreuil, l’écologiste Dominique Voynet, rapporte Clarisse Fabre dans Le MondeEn cause, rappelle-t-elle, l’existence d’une double billetterie au Méliès, l’absence de comptabilité publique pour les séances « non commerciales » depuis 2004 (films expérimentaux, films sans distributeurs…) et la soustraction des fonds correspondants au Trésor public. La ville estime le manque-à-gagner à 77 000 euros, un chiffre jugé totalement fantaisiste par les soutiens du Méliès. […] La synthèse fournie par la ville estime que les irrégularités comptables pourraient être qualifiées de « détournements de fonds publics », de « faux » et de « gestion de fait ». Une« caisse noire », alimentée par les recettes de ces séances non commerciales, aurait servi à l’achat de billets commerciaux, mais aussi, selon des témoignages d’agents, à faire des avances sur salaire, à régler des frais au Festival de Cannes. Voire à acheter de la drogue ! Cependant, la ville se montre désormais prudente et précise que « certains de ces usages ne peuvent être vérifiés par l’enquête administrative », mais par une enquête judiciaire – le procureur ayant été saisi. Enfin, deux autres préjudices financiers auraient été subis par la ville : le premier serait lié à des défauts d’encaissement de séances scolaires ; le second serait dû aux billets exonérés constatés sur la période 2008-2012. Le total du manque-à-gagner serait de 143 000 euros, conclut l’enquête. Cet épisode, rappelle à nouveau Le Mondeest le dernier rebondissement d’un feuilleton qui oppose, depuis plus d’un an, Dominique Voynet à celui qui faisait office, depuis 2002, de directeur artistique du Méliès, le critique de cinéma Stéphane Goudet. Déjà suspendu de ses fonctions, depuis décembre 2012, Stéphane Goudet vient de recevoir sa lettre de convocation à un entretien préalable de licenciement, pour manquement à l’obligation de réserve, au devoir de loyauté, et non-dénonciation de pratiques comptables irrégulières. Trois autres agents, la programmatrice, la régisseuse et la régisseuse adjointe, vont également quitter le navire. C’est ce que Dominique Voynet appelle une « sortie de crise ». D’autres diront qu’elle fait table rase, pour en finir avec l’ère Goudet. Désormais, la patronne du Méliès est Nathalie Hocquard, récemment recrutée par Mme Voynet. A la mairie, on la nomme simplement « la chef du service ».”
On souhaite en tout cas bien du plaisir à cette dernière dans ses relations avec les cinéastes montreuillois membres du conseil du Méliès : Sólveig Anspach, Dominique Cabrera, Robert Guédiguian et Dominik Moll, qui ont publié la semaine dernière dans les pages Rebonds de Libération une tribune cosignée par nombres de leurs éminents collègues. Après avoir retracé l’historique du conflit entre le cinéma et la municipalité, et contesté un certain nombres des points litigieux avancés par la mairie, ils élargissent leur propos : “Aveuglée par des luttes de territoire politiciennes, Dominique Voynet ne semble pas voir l’essentiel, écrivent-ils. Qu’en déclarant la guerre au Méliès, elle affaiblit l’une des salles d’art et essai les plus exemplaires de France. Et que, ce faisant, elle rend plus difficile le combat de tous ceux qui se battent pour une meilleure exposition de nos films. Aujourd’hui, les grands circuits d’exploitation monopolisent une telle part des écrans qu’il arrive, certaines semaines, que cinq films occupent près de 4 000 écrans sur les 5 200 disponibles. La production indépendante est trop souvent cantonnée à une poignée de salles quand, au même moment, quatre ou cinq blockbusters occupent chacun 600 à 900 écrans. Cela aboutit à un turnover catastrophique pour les films sortis avec des moyens modestes : le public n’a pas le temps de les découvrir… qu’ils sont déjà retirés !
Nous pensons, écrivent les cinéastes qui soutiennent le Méliès, que la seule alternative à cet état de fait est le renforcement des salles indépendantes d’art et essai. Or, leur vitalité passe par des politiques éditoriales singulières, incarnées par des programmateurs passionnés. Ce sont eux qui donnent une identité forte à ces salles, tel le Méliès. L’aveuglement de la mairie de Montreuil aboutit à un immense gâchis et désespère tous ceux, spectateurs et cinéastes, qui croient encore que le cinéma n’est pas une marchandise comme les autres ; qu’une salle défendue avec ferveur par une équipe entière est une sorte de bien public que rien ne devrait pouvoir mettre à mal. Nous tenons, concluent-ils, à réaffirmer notre engagement au côté de l’équipe du Méliès, celle qui défend nos films avec enthousiasme et conviction.”
Dominique Voynet a elle aussi pris la plume, toujours dans les pages Rebonds de Libération, pour remercier hier les cinéastes de poser « enfin » la bonne question. “Mesdames et messieurs les réalisateurs, écrit-elle, ce que j’essaie simplement de vous dire, c’est que les principes de « bonne gestion », ou tout simplement de « gestion légale », ne sont pas un frein à l’expression artistique, mais bien un socle sur lequel peut et doit s’appuyer la culture, comme toute autre politique publique. Et c’est bien dans ce sens que je souhaite, comme vous, que le Méliès retrouve au plus vite un climat apaisé. C’est notre intérêt à tous.” Un intérêt, mais de quel ordre ? Selon Alexandra Michot, qui a assisté samedi pour Le Figaro à la manifestation de soutien, si “beaucoup évoquent des arrière-pensées politiques pour expliquer les accusations de la mairie, un ancien programmateur de cinémas d’art et essai en banlieue parisienne suggère plutôt des raisons économiques. Déjà engagée dans le projet d’une future piscine écologique sur les hauts de Montreuil estimée à 15 millions d’euros, la mairie n’a pas forcément les moyens de financer aussi les salaires et l’entretien du tout nouveau cinéma Méliès de six salles qui doit ouvrir fin 2013 en centre-ville. Ce futur plus grand cinéma municipal d’art et essai de France pourrait, non pas coûter, mais rapporter une jolie somme à la ville, si l’un des deux groupes sur les rangs pour le gérer à la place de la municipalité le prenait en concession.”

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